Les 5 meilleures lectures de Charles en 2019

Par Charles, l’ingénieur-libraire de La Suite

En plus des bonnes résolutions, le changement d’année est aussi le moment, pour ceux qui tiennent un carnet de lecture, de faire le point sur les livres qui les ont profondément marqués ces douze derniers mois : comme le disait Kafka, “un livre doit être la hache qui fend la mer gelée en nous”.

http://editions-hache.com/kafka/kafka1.html

En bon disciple du penseur Nassim Nicholas Taleb, j’essaie d’équilibrer la lecture de nouveautés (toujours plus nombreuses) avec des livres plus anciens qui ont résisté à l’épreuve du temps.

1/5 – Les furtifs de Damasio

C’est sans doute un des phénomènes littéraires de l’année 2019. Alain Damasio est déjà un auteur de fiction connu, notamment pour sa magnifique Horde du Contrevent.

Après quinze ans d’efforts, il revient cette fois avec un véritable chef-d’œuvre qui m’a marqué tout à la fois par la richesse de son univers, son originalité dans l’écriture, et par sa portée politique.

L’intrigue des furtifs se déploie dans une France dystopique, qui ressemble étrangement à celle que l’on connaît en 2020.

Toute la sphère publique et intime y est privatisée et confiée à des corporations qui fournissent l’essentiel des services. Les citoyens ne peuvent quasiment pas vivre sans internet, qui contient toute leurs données et leur permet l’accès aux rues, aux écoles, au travail.

On s’attache très vite au héros, qui part à la recherche de sa fille mystérieusement disparue. Après avoir épuisé toutes les pistes possibles, il décide de traquer un mystérieux “furtif”, cet être étrange, légendaire, indétectable par les moyens techniques, dont lui a parlé sa fille la veille de sa disparition.

Au-delà du réel plaisir à se plonger dans cette histoire très originale (les amateurs de Science-Fiction et d’Héroic-fantasy se régaleront), c’est la portée politique de ce roman qui m’a mis un coup de poing sur la tête (pour reprendre la lettre de Kafka). On apprend ainsi que l’auteur s’est fortement inspiré des écrits de Gilles Deleuze, qui décrivait dans un texte très court mais lumineux, l’avènement de ce qu’il appelle les sociétés de contrôle. http://1libertaire.free.fr/DeleuzePostScriptum.html

je vous recommande une longue interview de l’auteur aux multiples talents ici :

https://youtu.be/a7KapmsJQOE

Alain Damasio parraine par ailleurs à un hors série du magazine Socialter à paraitre sur les imaginaires sociaux.

Cette notion d’imaginaire me questionne depuis quelques temps, notamment depuis la lecture de Nancy Huston avec son lumineux L’espèce fabulatrice. Comme ont pu l’expliquer Cyril Dion dans son Manuel de résistance contemporaine, ou Pablo Servigne dans Une autre fin du monde est possible, la façon dont on se raconte collectivement la transition écologique est primordiale, et au moins aussi importante que la technique : un nouveau champ de réflexion s’ouvre, si comme moi vous êtes amoureux de la technique ET des histoires…

Les furtifs, Alain Damasio, La volte, 25 €


2/5 – Lettre aux paysans sur la pauvreté et la paix

J’ai eu un grand choc cette année en lisant la Lettre aux paysans sur la Pauvreté et la Paix, écrit en 1938 par Jean Giono.

Ce texte court et poignant embrasse la totalité des sujets de controverse actuels : l’écologie, le machinisme, la noblesse du travail, le capital… et sans oublier le thème que nous oublions sans arrêt : la paix.

Ces mots sont remarquables et m’ont touché, bien avant René Dumont et Pierre Rabhi.

Lettre aux paysans sur la pauvreté et la paix, Jean Giono, Belles Lettres, 10 €

 


3/5 – Ecotopia

Ce qui me bouleverse le plus en lisant Ecotopia, c’est… sa date de parution, il y a presque un demi-siècle. La quasi-totalité des grands thèmes de réflexion actuels y étaient déjà présents : l’aménagement des villes, l’écologie profonde d’Arne Naess, la résonance avec la nature chère à Hartmut Rosa, les coopératives, l’économie circulaire, la sobriété heureuse, les vélibs… tout est déjà là dans cette contrée uchronique et dystopique que le narrateur s’apprête à nous faire découvrir.

Le procédé narratif est simple et efficace : vous lirez, tantôt dans ses articles, tantôt dans ses carnets secrets, les découvertes de ce journaliste parti en mission en Ecotopia. D’abord bardé de préjugés et d’idées préconçues, on le sentira évoluer, se questionner, se transformer au contact des habitants.

Traduit pour la première fois en Français, Ecotopia, d’Ernest Callenbach, fait partie de ces récits faciles à lire mais qui inventent un monde nouveau. Une seule question reste à la fermeture du livre : pourquoi ne suis-je pas né en Ecotopia ? pourquoi les idées et le monde décrit par Ecotopia n’ont pas pu advenir en cette fin de XXe siècle ?

Cela rejoint la question des imaginaires sociaux évoqués en début d’article. Ecotopia n’est pas qu’une jolie histoire facile à lire : ce livre est aussi une preuve que les imaginaires sociaux que l’on considère aujourd’hui comme modernes, voire avant-gardistes, étaient en réalité déjà présents il y a cinquante ans, mais qu’ils ne se sont pas imposés pour une raison qui m’échappe toujours.

Ecotopia, Ernest Callenbach, traduit de l’anglais par Brice Matthieussent, Rue de l’échiquier, 19 €


4/5 – Saison Brune

Cette BD sortie il y a déjà 7 ans est toujours à l’heure actuelle un des meilleurs documents possibles pour s’initier à la question du réchauffement climatique. Non seulement l’auteur réussit une excellente synthèse des connaissances disponibles, y compris sur le plan économique et sociétal, mais il réussit le tour de force de les rendre accessible à quelqu’un qui n’a presque aucun bagage technique.

La grande force de cette BD, c’est qu’elle est également introspective et que l’auteur se raconte lui-même en train d’apprendre, de douter, d’évoluer, et de se poser des questions. Le dessin est soigné, le discours est sincère, touchant, et on a véritablement l’impression de discuter avec un ami.

Comme l’explique très bien “le réveilleur” dans cette vidéo, elle offre un imbattable ratio « connaissances acquises / temps passé », et reste bien moins aride à lire qu’un rapport du GIEC.

https://www.youtube.com/watch?v=ihkiQ1HuYcI

Saison brune, Philippe Squarzoni, Delcourt, 29.95 €


5/5 – L’économie bleue 3.0

Comment faire pousser une forêt tropicale (eau et habitants inclus) sur un terrain désert ? Comment instaurer un écosystème agronomique avec des larves de mouche ou du marc de café ? ou faire du papier avec des cailloux ? voilà le genre de projets étonnants qui fleurissent avec les préceptes de cette économie d’un nouveau genre : l’économie bleue.

Proche de ce qu’on appelle l’économie circulaire, l’économie bleue va plus loin en utilisant systématiquement le biomimétisme et cherche à regénérer l’environnement où elle intervient.

Comme l’explique son brillant auteur Gunter Pauli dans son dernier l’ouvrage L’économie bleue 3.0, l’objectif de l’économie bleue n’est pas de “faire moins mal” mais de réellement “faire du bien”.

Avec beaucoup de pédagogie, Gunter Pauli sensibilise aux phénomènes de biodiversité, d’écosystèmes, de complexité. Il réussit le tour de force de réconcilier écologie régénérative et faisabilité économique.

On referme ce livre avec une bouffée d’espoir et d’énergie : nous en aurons besoin pour relever les défis qui s’annoncent. Les regards de traverses et pas de côté conceptuels m’ont permis d’enrichir mon regard sur ces questions.

Pour approfondir le personnage : https://youtu.be/OVd8YOFvVtc

L’économie bleue 3.0, Gunter Pauli, L’observatoire, 24 €

 

Et pour ceux qui l’auront remarqué, je suis très amateur de la chaîne YouTube Thinkerview. Si vous n’avez pas le temps (ou le goût) de lire, vous pouvez y écouter de longues heures de contenu de grande qualité sur des sujets de fond.

Charles.

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