Sélection Rentrée littéraire 2020

ROMANS

 

Héritage

Comme dans ses deux précédents romans – Le voyage d’Octavio et Sucre noir – Miguel Bonnefoy a repris sa plume d’écrivain-conteur à l’imaginaire luxuriant.
Avec Héritage il nous embarque pour le Chili en 1870 en compagnie d’un vigneron ruiné par le phylloxéra qui part se refaire un destin de l’autre côté de l’Atlantique.
Ainsi nait la lignée d’exilés franco-chiliens que l’on va suivre sur quatre générations.
Entre le fils Lazare part dans les tranchées en 1914 pour défendre les couleurs de la France, sa femme Thérèse qui parle aux oiseaux, sa fille Margot, initiée à la lévitation par une chaman qui deviendra pionnière de l’aviation… autant de personnages pittoresques. À leurs côtés nous traversons le XXe siècle jusqu’à aux années Pinochet.
À la fois fresque familiale et livre de l’exil, tour à tour poétique ou réaliste, Héritage est un enchantement. Michèle

Héritage, Miguel Bonnefoy, Éditions Rivages, 19,50 €

 

Le lièvre d’Amérique

Le lièvre d’Amérique est un petit animal de la famille des léporidés, largement répandu à Québec, doté dune fourrure blanc neige en hiver et brun roux en été. Il a pour particularité de fuir d’une course folle ses prédateurs plutôt que de se cacher, et de dormir très peu pour rester aux aguets…

Voici comment débute le merveilleux roman de Mireille Gagné, auprès de l’animal, de ses instincts et de sa survie…
D’instinct et de survie il en est aussi question pour Diane, au coeur de cette histoire : employée d’une grande entreprise, elle n’arrive plus à faire face aux injonctions de performance au travail, et commence à perdre pied…

Diane se souvient alors de sa jeunesse, sur une île, de cette nature envoûtante, du garçon sauvage Eugène, de la chasse aux lièvres… Le temps des émotions comme des bourrasques de vertige et de liberté…
Entre Diane et le lièvre, les liens se resserrent, les sens se répondent. Une réponse à l’aliénation au travail qui fait perdre jusqu’à notre identité profonde, une réponse à notre besoin éperdu de liberté, à notre soif de nature.

Mireille Gagné signe un premier roman court très maîtrisé, un cri de détresse sous forme de conte, qui surprend comme l’apparition d’un lièvre à l’orée d’un bois, apparition magique et furtive qui laisse ébloui et songeur… Lucile

Le lièvre d’Amérique, Mireille Gagné, La peuplade, 18 €

 

Chavirer

De l’abus sexuel traumatique subi par Cléo à l’âge de 13 ans, vous ne trouverez que quelques lignes.
La construction de Chavirer est un remarquable kaléidoscope à l’image fracturée qui sert de couverture au dernier livre de Lola Lafon.
On y suit la vie de Cléo – ou plutôt ce qui s’en reflète dans les yeux de ceux qui l’ont rencontrée, sur une période de 35 ans.
35 ans dévouées à la danse de divertissement – revues, paillettes, bustiers serrés, sourire professionnel malgré la douleur… C’était le rêve de Cléo, malgré l’envers du décor qui débute par le “repérage” effectué par l’élégante prédatrice Cathy dans un MJC de banlieue.
À chaque chapitre, un nouveau reflet et au fond ces fragments de l’histoire de Cléo, comme autant de prises de paroles.

Chavirer n’est pas un roman de plus de l’ère #metoo : en refermant le livre on reste surtout marqué par la force sidérante de l’écriture. Michèle

Chavirer, Lola Lafon, éditions Actes Sud, 20,50 €

 

Patagonie route 203

Nous voici à l’extrême sud du continent américain, à bord du camion de Parker qui sillonne la Patagonie avec pour seul compagnon son vieux saxophone. Ceux qui prennent ces routes les plus inhospitalières du monde recherchent la solitude et l’anonymat ; tous appartiennent à cette “confraternité de l’errance”. Quand un problème mécanique surgit pour Parker, il faut bien s’en remettre à ces routiers du bout du monde, quitte à en perdre son latin, ses repères, et pourquoi pas la tête. Surtout quand une jolie jeune femme se présente au milieu de tout cela et qu’il n’y a pas d’autre solution que de l’enlever pour vivre une romance nomade.
Mais peut-on, au cœur de ces paysages grandioses et désolés, écrire une autre histoire que celle de sa géographie intérieure, aussi vaste que solitaire ?

Au sein d’une nature de la désolation, Patagonie route 203 est à la fois un road-movie dépaysant aux dialogues irrésistibles, mais aussi un lent détour vers nos questions existentielles. Réjouissant et profond ! Lucile

Patagonie route 203, Eduardo Fernando Varela, traduit de l’espagnol (Argentine) par François Gaudry, Métailié, 22,50 €

 

Retour à Martha’s Vineyard

Dans ce livre au titre nostalgique, le présent a quelque chose de passé.
Trois amis, sexagénaires se retrouvent sur l’île pour une dernière rencontre dans la maison de l’un d’entre eux avant qu’elle ne soit vendue.
Quatre décennies ont passé depuis le week-end qu’ils avaient organisé pour fêter la fin de leurs études, et au cours duquel Jacy, la jeune femme que tous les trois aimaient s’est mystérieusement évaporée.
Richard Russo , par une série de flashbacks subtils revient sur la vie des trois amis, sur une jeunesse américaine traumatisée par la guerre du Vietnam et marquée par différentes formes de libération. Le récit se resserre autour du fantôme de Jacy jusqu’à un dénouement inattendu et bouleversant.

Retour à Martha’s Vineyard est un livre profond au charme “vintage” faussement classique. Une belle occasion de découvrir un grand écrivain américain. Michèle

Retour à Martha’s Vineyard, Richard Russo, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Jean Esch, Éditions Quai Voltaire, 24 €

 

La Géante

L’histoire se situe au pied de la Géante, une montagne qui a forgé un paysage âpre, des légendes d’un autre siècle, des habitants taiseux. Noële est de ceux-là, elle qui connait les moindres aspérités du paysage, les plantes qui soignent : elle a “le flair des bêtes ou l’esprit tordu des sorcières”. Un jour du fond de la vallée débarque une femme, dont elle observe la détermination farouche : que vient-elle chercher ? Et quel est le lien avec Maxime, un journaliste reporter venu récemment s’installer, ou plutôt se retrancher, lui qui reçoit tant de lettres qu’il n’ouvre pas ?

Dans ce récit on avance comme en montagne : on s’écorche, on perd l’équilibre, on est avalé par l’obscurité d’un sous-bois, avant la grande éclaircie du sommet, la vue qui embrasse l’horizon et porte loin. L’écriture de Laurence Vilaine est faite de cette matière minérale et végétale, d’une grande force poétique. Un texte envoûtant ! Lucile

La Géante, Laurence Vilaine, Zulma, 17,50 €

Auteure à rencontrer le mercredi 25 novembre à 19h30 ! Pour s’inscrire : lucile@librairielasuite.fr

 

Nickel Boys

Colson Whitehead nous amène au cœur d’un état du sud des Etats-Unis au tout début des les années 1960.
Elwood est un enfant de la communauté noire élevé par sa grand-mère, et éduqué par les discours de paix de Martin Luther King. Il est intelligent, rêveur, un brin idéaliste.
Suite à une erreur judiciaire il va se retrouver pensionnaire d’une maudite maison de redressement, où l’on prétend remettre les délinquants dans le droit chemin… (De telles “écoles” ont réellement existé et ruiné la vie de centaines de jeunes noirs : elles sont à l’origine de l’écriture de ce roman).

La puissance de Colson Whitehead (qui a obtenu deux prix Pulitzer en trois ans) est de nous placer au plus près du merveilleux personnage d’Elwood et son ami Turner, compagnon d’infortune à la Nickel Academy. Quitte à souffrir avec eux, partageons leur extraordinaire amitié et suivons-les dans leur combat pour la liberté.
Autant dire qu’un livre aussi fort vient nourrir nos aspirations à davantage de justice et ce n’est pas rien. Michèle

Nickel Boys, Colson Whitehead, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Charles Recoursé, éditions Albin Michel, 19,90 €

 

Histoire du fils

Marie-Hélène Lafon c’est un style, ce genre de phrase, pour décrire un surveillant à l’école :
“Mourot patrouille dans les rangs, il ne sent pas bon. Paul hésite, beurre rance poireaux vinaigrette vieille soupe, des relents de nourriture, les stigmates d’une vie étriquée, recuite et réchauffée.”
Association incroyable, jetée comme des légumes au fond de la marmite, sans virgule, mélangez-moi tout ça, bien dans son jus, et voilà on le tient le Mourot… dans le nez et les souvenirs, on a tous le surveillant en question qui resurgit dans notre mémoire, bien réel, ressuscité par les mots olfactifs de Marie Hélène Lafon.
.
Histoire du fils, un titre simple et sobre mais en apparence seulement… plusieurs générations de fils jalonnent ce roman qui court sur tout le XXe siècle, en quelques 170 pages fulgurantes. De ruptures en silences, de fuites en transmissions, Marie Hélène Lafon écrit un magnifique roman sur la filiation, ce fil invisible et inéluctable. Lucile

Histoire du fils, Marie-Hélène Lafon, Buchet Chastel, 15 €

Auteure à rencontrer le jeudi 14 janvier à 19h30 ! Pour s’inscrire : lucile@librairielasuite.fr

 

Impossible

Sur un sentier escarpé des Dolomites un homme chute dans le vide.
Derrière lui un autre homme appelle les secours.
Ils étaient tous les deux membres du même groupe révolutionnaire dans les années 70.
Celui qui a trouvé la mort avait trahi la cause et dénoncé ses camarades qui ont purgé une peine de prison.
Le jeune juge tient là un mobile : la vengeance. La chute mortelle ne serait donc pas accidentelle.

Impossible est un drôle de roman, qui nous fait naviguer entre l’immensité des montagnes et le huis-clos de la salle d’audition, entre l’interrogatoire mené par un juge convaincu de la culpabilité du randonneur et une partie épistolaire émouvante où de sa cellule le prévenu s’évade en écrivant à la femme qu’il aime.

Comme souvent, Erri De Luca mêle avec habileté différents registres littéraires : le jeu des questions-réponses qui se déploie en art du dialogue, des lettres, des méditations sur la fraternité et la justice , ou des réflexions philosophes sur l’engagement.
Et bien sûr derrière se randonneur se profile la silhouette longiligne d’Erri De Luca , écrivain-montagnard et militant. Michèle

Impossible, Erri De Luca, traduit de l’italien par Danièle Valin, éditions Gallimard, 18,90 €

 

Ce qu’il faut de nuit

Ce qu’il faut de nuit est le premier roman que l’on attend dans une rentrée littéraire, celui dont les mots vibrent à votre oreille, celui qui se fraie un chemin sûr et discret, et dont la rumeur enfle peu à peu.

Les éditions La Manufacture de Livres l’ont choisi comme unique titre de leur rentrée, ce qui, en cette période aussi incertaine, est peut-être un signe de douce inconscience, ou plus certainement la preuve qu’il existe encore des éditeurs engagés corps et âme pour leur texte.  Quelques années auparavant, on devait à cette même maison la découverte de Né d’aucune femme de Franck Bouysse, ce n’est pas rien !

Ce qu’il faut de nuit est une histoire familiale, celle d’un père qui élève seul ses fils. C’est une histoire de départs, ou plutôt de faux-départs, dans la grande trajectoire de l’existence, selon d’où l’on vient et vers où les rencontres nous mènent, selon les accidents qui surgissent, et selon qui vous tendra la main, au milieu de tout cela…

Cela raconte l’amour inconditionnel et notre impuissance désarmante, à force de solitude, à aider ceux que l’on voit s’éloigner, mais les retenir comment, et jusqu’où ? Cela raconte mais surtout cela questionne le lecteur, droit dans les yeux : et vous, qu’auriez-vous fait à sa place ? Lucile

Ce qu’il faut de nuit, Laurent Petitmangin, La manufacture de Livres, 16 €

Auteur à rencontrer le mercredi 14 octobre à 19h30 ! Pour s’inscrire : lucile@librairielasuite.fr

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